Sur les pas de
Iakonikonriiostha
Celle qui rend l’intérieur plus beau et le cœur plus chaud
Dès son arrivée à Kébec, en Canada, en 1648, sœur Marie-Catherine de Saint-Augustin s’engage profondément auprès des Premières Nations, apprenant leurs langues et découvrant leurs cultures avec respect et compassion. Son souci d’évangélisation et son désir de soulager les pauvres et les malades la poussent à entrer au cœur
d’une nouvelle culture. Très tôt, sa riche personnalité et la profondeur de sa vie spirituelle éclatent au grand jour. On la surnomme « la fille des filles », la « plus extraordinaire des filles » : IAKONIKONRIIOSTHA ce qui signifie « celle qui rend l’intérieur plus beau et le cœur plus chaud ».
Dans un village, vivait une jeune fille avec son grand frère et leur mère. Dans ce même village, rôdaient des chiens très méchants qui effrayaient les gens, enfants comme adultes. À l'improviste, ils sortaient de leur repaire et attaquaient les habitants. Ils aboyaient si fort qu'ils faisaient peur. Parfois ils poursuivaient les personnes en courant derrière elles. Il arrivait même qu'ils en mordaient un grand nombre et, pis encore, ils en avaient étranglé certains. Le village vivait dans la peur.
Voyant cette misère, la jeune fille, qui aimait tous les villageois, fit cette proposition à son frère aîné et à leur mère: « Si l'on ouvrait les soupiraux du sous-sol de la maison, les chiens pourraient être retenus dans la cave et ainsi ils ne pourraient plus mettre en danger la vie des gens du village. » La jeune fille aimait tellement les gens qu'elle voulait à tout prix leur venir en aide et elle était prête à souffrir tous les inconvénients que la présence de ces chiens emprisonnés dans la cave pouvait lui apporter.
Il en fut ainsi. Le frère aîné ouvrit les soupiraux et les chiens vinrent se loger dans la cave de la maison. Mais la jeune fille eut bien soin de garder la trappe du plancher bien fermée afin que jamais l'un d'entre eux n'en vienne à monter à l'étage supérieur de la maison. Toutefois, ils faisaient sentir leur présence et dérangeaient la jeune fille par leurs aboiements sinistres, par leur odeur exécrable, par leurs combats haineux puisqu'ils étaient incapables de vivre ensemble dans la paix.
La jeune fille prenait soin de ne jamais ouvrir la trappe, ni laisser aucune fissure se faire entre le sous-sol et l'étage supérieur où elle vivait en compagnie de son frère aîné et de leur mère.
Sa volonté profonde était de se fixer en leur compagnie, même si parfois les chiens manifestaient encore plus de haine à son égard, désirant attraper à tout prix une proie si enviable, d'autant plus qu'elle les empêchait de faire des victimes dans le village. Parfois certains chiens, au lieu de japper férocement, faisaient des bruits tout doucereux, comme une colombe qui roucoule, afin d'attendrir la jeune fille et ainsi pouvoir la mordre. Mais dans sa liberté profonde, elle ne donnait aucun consentement à leurs ruses, résolue de demeurer en communion avec son frère et leur mère. Certes, la présence des chiens dans la maison fit beaucoup souffrir la jeune fille : les nuits sans sommeil, le bruit infernal et l'odeur nauséabonde mais elle supportait tout cela parce qu'elle avait tout d'abord reçu le consentement de son frère et de leur mère pour qu'il en fût ainsi. De plus, en agissant de cette façon à cause du grand amour qu'elle portait aux gens du village, elle aidait à sauver la vie de ces pauvres personnes. Le village fut donc préservé grâce à cette jeune fille qui a pour nom Catherine, surnommée Iakonikonriiostha, c'est-à-dire "celle qui rend l'intérieur beau".
Germain Grenon
Prêtre, m.s.a.
Des témoignages fort éloquents
Les témoignages de l’époque lèvent le voile sur «la fille des filles». Des écrits en attestent la véracité. L’hospitalité des Augustines à l’endroit des Ursulines, lors de l’incendie de leur monastère à Kébec, le 30 décembre 1650, permet à sœur Marie-Catherine de côtoyer de près Marie de l’Incarnation. Cette dernière, dans ses lettres à son fils Claude, la décrit en préférant taire les phénomènes extraordinaires de sa vie pour s’attarder largement à ses vertus : «Elle servait les pauvres avec une force et une vigueur admirables. C’était la fille du monde la plus charitable aux malades et elle était singulièrement aimée de tout le monde ainsi que pour sa douceur, sa fermeté, sa patience et sa persévérance. Mon très cher fils, les vertus de cette trempe sont plus à estimer que les miracles[1]».
De même, Mgr de Laval, dans une lettre à la supérieure de Bayeux traduit son admiration et son estime: «Il y a un grand sujet de bénir Dieu de la conduite qu’il a tenue sur notre sœur Catherine de Saint-Augustin; c’était une âme qu’Il s’était choisie pour lui communiquer des grâces très grandes et très particulières. Sa sainteté sera mieux connue dans le ciel qu’en cette vie, car assurément elle est extraordinaire[2]».
Vie contagieuse
Après la mort de sœur Catherine, celle qui fut sa supérieure, la Mère de Saint-Bonaventure de Jésus, manifesta son grand étonnement en apprenant toutes les faveurs extraordinaires dont la jeune sœur avait été gratifiée de Dieu. Si l’explication tient dans la voie de l’humilité, il n’en demeure pas moins que sœur Catherine était pétrie par de solides vertus au point de laisser croire à son entourage que la vertu était née avec elle. En effet, sa bonté de cœur faisait en sorte que toutes les personnes qui avaient besoin de secours trouvaient chez elle consolation, refuge assuré et patiente écoute. Dans sa mission d’hospitalière, elle était maintes fois en présence de personnes dont les besoins de l’âme étaient aussi grands que ceux du corps. Plusieurs, après avoir connu sœur Catherine, ont témoigné des effets salutaires de leur rencontre avec cette femme et de leur conversion à Dieu. En effet, sa charité empreinte de douceur gagnait les cœurs à Dieu alors même qu’elle se faisait tout à tous en s’adaptant aux humeurs de chacun. Si les sœurs de sa communauté voyaient en elle une religieuse accomplie, une soeur d’agréable compagnie gratifiée par la nature et la grâce, il n’en reste pas moins que tout le monde était édifié par sa conduite exemplaire.
Vie d’identification au Christ
Où «la plus extraordinaire des filles» a-t-elle puisé sa charité, sa patience et son humilité et ce, malgré une santé fragile et bien des fatigues liées aux rudes conditions de la vie en ce pays surnommé «pays des croix»? Dès l’âge de deux ans, Catherine est confiée à la garde de ses grands-parents maternels. La maison familiale est une auberge hospitalière pour les pauvres et les malades ainsi que pour les prêtres[3] qui sillonnent la région. Leurs exhortations, auprès des malheureux, trouvent une oreille attentive chez la jeune Catherine au point qu’elle cherche à savoir ce que peut bien signifier «faire la volonté de Dieu». Le jésuite François Malherbe étanche sa soif de curiosité en lui montrant un pauvre homme gisant sur son lit et offrant ses souffrances pour le salut de sa mère dont la vie est désordonnée. Inspirée par ces propos, la jeune Catherine désire souffrir et offrir toute forme de souffrances pour son prochain. Dorénavant tout concourt chez Catherine à faire la volonté de Dieu dans le plus pur amour : «je lui dis, oui, mon Dieu, mon Sauveur et mon Tout, faites de moi tout ce qu’Il vous plaira»[4].
Cette inclination toute surnaturelle la propulse sur le chemin de l’offrande et de la conformité aux sentiments du Christ : «obéissons comme Il a obéi, soyons humbles de cœurs, souffrons comme Il a souffert, vivons comme Il a vécu (…), que sa charité soit le modèle de la nôtre»[5]. Ce chemin progressif de formation du Christ en elle la plonge de plein gré dans l’esprit paulinien : «Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi» (Ga 2, 20). C’est dans cet état de quasi permanence à la présence du Christ que sœur Catherine évolue. En aucun temps elle ne craint de dire que l’oraison est la source de toutes les vertus et, qu’en dehors des temps de prières privilégiés devant le Saint-Sacrement, les oraisons jaculatoires la gardent dans un climat d’intériorité et de familiarité avec le divin. Non seulement elle est «celle qui rend l’intérieur plus beau et le cœur plus chaud» chez les autres, mais également celle qui laisse à Dieu le soin de l’embellir. De la sorte, cette femme-disciple se renouvelle dans la proximité et la contemplation du Fils plein de grâce et de vérité, pur reflet de la gloire du Père (cf. Jn 1, 14) dans la communion de l’Esprit.
Vie mariale
Dès sa plus tendre enfance, Catherine vivait en présence de celle qu’elle appelait : «ma sainte Vierge»[6]. Elle échangeait avec elle en toute familiarité comme aucune autre personne et elle se plaisait à lui demander des conseils : comment feriez-vous sainte Vierge dans telle ou telle situation? que diriez-vous? quelle serait votre prière? Point étonnant qu’à l’âge de 10 ans, elle fit une première consécration mariale et une seconde en 1648. Quoique marquées par l’esprit eudiste, ses consécrations dénotent jusqu’à quel point Catherine voulait vivre à la manière de Marie et communier profondément à la vie de celle qui avait donné naissance au Rédempteur. Sans doute influencée par la même source, elle propagea la dévotion au Cœur immaculé de Marie jusqu’en terre canadienne.
C’est dans la longue et rude traversée de 1648, à bord du bateau Le St-Joseph, que sœur Catherine doit à la Vierge Marie sa guérison de la peste. En effet, elle apportait dans ses bagages une statuette de buis remise par sa grand-mère maternelle et c’est envers cette «bonne Mère» qu’elle se tourna pour implorer sa guérison si tel était le bon vouloir de Dieu[7]. La dévotion mariale de sœur Catherine comportait régulièrement la prière méditée du Rosaire. C’est par ce chemin qu’elle communiait avec Marie aux mystères de la vie du Fils et qu’elle remettait à la Mère et au Fils sa mission d’évangélisation.
Vie d’offrande mystique
La vie de Marie-Catherine de Saint-Augustin a été écrite par le Père Paul Ragueneau, s.j.[8] en 1671, soit 3 ans seulement après sa mort. Ce premier biographe présente sœur Catherine comme une personne «sanctifiée par la tentation et l’obsession du démon, puis souffrant pour les pécheurs et les âmes du purgatoire»[9] et ce, sans ordre chronologique. Cette façon de faire (écrit à thèse) a donné et donne encore l’impression que toute la vie de sœur Catherine n’a été qu’une succession d’expériences mystiques dans un perpétuel combat entre Dieu et le Diable.
Or, ce n’est qu’en 1658 que «Catherine reçut un premier appel à la souffrance pour les pécheurs, pour le salut et la rédemption du Canada. C’est alors que la croix de Jésus lui est présentée. L’année suivante, elle s’offre comme victime pour le Canada et cette vocation à la souffrance s’actualise. Catherine commence, en 1660, à souffrir de la part des démons dont elle sera constituée le geôlier, l’hôte et la victime»[10]. Au cœur de ces expériences mystiques, en tant que victime offerte pour le salut des âmes de tout un peuple, elle plonge en plein cœur d’un ministère de libération intérieure. Dieu lui montre les blessures de l’humanité pécheresse et l’associe étroitement à la mission rédemptrice du Fils. Il la gratifie de charismes lui permettant de voir l’état lamentable dans lequel évolue certaines personnes. Elle intercède pour leur délivrance, emprisonne en elle les esprits maléfiques dont elles étaient envahies et porte mystiquement la douloureuse croix de leur présence. Possédée par Dieu, soutenue par la Vierge Marie, les saints(es) du ciel et ses «directeurs spirituels» tant sur terre[11] qu’au ciel[12], sœur Catherine a épousé profondément les sentiments du Christ Jésus en communiant intensément au mystère de la Croix. Toute sa vie, ancrée dans la pensée de faire uniquement la volonté de Dieu, a été comme une perpétuelle eucharistie au cours de laquelle elle n’a cessé d’être une offrande agréable au Père «pour la gloire de Dieu et le salut des âmes». Se sentant souvent habitée par des sentiments non conformes à la vie de son Seigneur, c’est dans le cœur miséricordieux de Dieu qu’elle trouve refuge en épanchant ses doutes et ses douleurs intimes auprès de son directeur spirituel. Ayant expérimenté les bienfaits de la miséricorde, elle souhaite cette rencontre même pour les cœurs les plus endurcis.
Son long chemin d’abaissement vécu dans la grande discrétion a culminé dans l’union mystique avec l’Esprit Saint en 1664 et, par la suite, dans l’union transformante jusqu’à sa mort en 1668. Sœur Catherine a été béatifiée par le pape Jean-Paul II le 23 avril 1989 et est considérée comme co-fondatrice de l’Église canadienne.
Une influence qui perdure
- Elle invite à puiser au trésor de Mère-Église.
Dans les trésors cachés de la vie de sœur Catherine, les battements de son cœur vibrent au rythme du cycle liturgique, du sanctoral et de la vie sacramentelle. Elle se nourrit du Pain eucharistique aux jours permis et le reçoit parfois directement du ciel, de la main du Père Jean de Brébeuf, mort martyr en 1649, et de quelques autres saints. Beaucoup de visions de sœur Catherine et de grâces de lumière ont un fondement scripturaire. Elle avait pour ainsi dire une forte culture biblique reçue des enseignements de son enfance et de sa formation dans la vie religieuse.
- Elle oriente vers un état de présence à Dieu plus que vers des temps de présence à Dieu.
Ce qui fait la grandeur de sœur Catherine c’est sa grande proximité avec le divin dont tout son être en était resplendissant. Son unité de vie tient en ce que son action et sa contemplation ne connaissent aucune scission et ce, dans l’ordinaire de sa vie. Elle est en état de réceptivité de Dieu en tant qu’humble servante amoureuse de la volonté de son Dieu. Cette disposition intérieure la garde, par le fait même, en état de service à la manière de Jésus et de Marie.
- Elle appelle à relire les événements à la lumière du mystère pascal et à en faire une offrande mêlée à celle du Fils
Sœur Catherine s’est toujours faite proche de la vie ecclésiale et de l’humanité blessée. Il n’est pas faux de dire que son cœur sacerdotal s’est fait hôpital pour accueillir toutes les misères du temps. En les offrant, elle s’est chargée d’en donner un sens en plongeant plus à fond dans le vécu du mystère pascal.
Les nombreux témoignages recueillis au Centre de Catherine de Saint-Augustin[13] permettent de croire que sœur Catherine poursuit sa mission d’embellissement dans les cœurs encore aujourd’hui et qu’elle aide à entrer dans le projet de Dieu. Tous et toutes peuvent recourir à sœur Catherine, car son cœur hospitalier a remède pour bien des maux.
Carmelle Bisson, A.M.J.
Publié dans la Revue En Son Nom : nov.déc.2014
[1] Quebecen. Beatificationis et Canonizationis servae Dei. Mariae Catharinae a Sancto Augustino (in saec. Catharinae Symon de Longprey) Monialis professae sororum Hospitalarium a misericordia O. S. Augustini. († 1668). Positio super introductione causae et virtutibus ex officio concinnata. Romae : Sacra Congregatio pro causis sanctorum officium historicum (67). 1978, p. 86; HUDON, Léonidas. Vie de Marie-Catherine de Saint-Augustin 1632-1668. Une fleur mystique de la Nouvelle-France. Montréal : Bureau du Messager canadien. 1907, p. 249.
[2] Positio, ibid., p. 136 ; Hudon, ibid., p. 248
[3] Tout particulièrement le père François Malherbe, jésuite et le père Jean-Eudes qui, dès 1632, vint au pays pour la prédication. C’est de ce même Jean-Eudes qu’elle aurait subi l’influence en écrivant sa première consécration mariale en 1642; consécration que lui-même avait faite le 25 mars 1624. (Positio LXXVII)
[4] Ragueneau, Paul. La vie de la Mère Catherine de Saint Augustin Religieuse hospitaliere de la misericorde de Québec en la Nouvelle-France, composée par le reverend père Paul Ragueneau de la Compagnie de IESUS. Paris : Florentin Lambert. Avec approbations & Privilege du Roi. M. DC. LXXI. p. 68.
[5] Ibid. p. 55.
[6] Ibid., p. 24.
[7] Cette statue en buis de 9 pouces, réputée miraculeuse, est conservée et vénérée au monastère des Augustines de l’Hôpital Général de Québec sous le vocable de Notre-Dame de protection. Elle a été donnée lors de la fondation de ce monastère en 1693, par les sœurs Augustines du monastère de l’Hôtel-Dieu de Québec.
[8] Ragueneau, op.cit.
[9] Hudon, Léonidas. Vie de Marie-Catherine de Saint-Augustin 1632-1668. Une fleur mystique de la Nouvelle-France. Montréal : Bureau du Messager canadien. 1907, p. XIX.
[10] Cf. Boucher, Ghyslaine. Dieu et Satan dans la vie de Catherine de Saint-Augustin 1632-1668. Hier-Aujourd’hui 21. Montréal : Bellarmin / Tournai : Desclée & Cie. 1979, p. 17
[11] Pour la plupart des Jésuites, Mgr de Laval fait également partie de ceux qui l’ont accompagnée et de qui elle a reçu des confidences et des demandes de prière.
[12] Le Père Jean de Brébeuf que sœur Catherine n’a pas connu sur la terre est devenu du haut du ciel, son protecteur et directeur (Ragueneau, op. cit., p. 113). Il l’a favorisée de grâces particulières : réception de la communion (Ibid. p. 92-93), explication de toute la cérémonie de la Dédicace et de la consécration de l’église de Québec (Basilique), le 18 juillet 1666, alors qu’elle n’était pas présente à la célébration. (Ibid. p. 94)
[13] Le Centre de Catherine de Saint-Augustin est situé au : 32 rue Charlevoix Québec (Québec), G1R 5C4.