17 avril 1648 : Départ de Bayeux pour le Canada
Les premières étapes du grand périple qu’a vécu la jeune Catherine pour arriver « en Canada » se déroule en avril 1648.
Quelque temps auparavant, les Hospitalières déjà installées à Québec demande du renfort en France, par l’intermédiaire des Pères Jésuites qui font le voyage. L’on désire que d’autres religieuses viennent aider, car les besoins se font de plus en plus grands et criants.
C’est alors que l’on sollicite une religieuse parmi la communauté de Bayeux, récemment fondée. Catherine est alors la plus jeune de la communauté, mais elle a souvent entendu parler du Canada dans son milieu, notamment par la lecture que l’on faisait des Relations des Jésuites. En son cœur resurgit alors fortement ses grands désirs de souffrir par amour de Dieu et pour le salut des âmes. Cet appel de ses sœurs missionnaires résonne en elle, et avec toute la force de son âme ardente qui veut tout donner pour Dieu, elle se propose d’elle-même pour y aller.
Évidemment, au premier abord, on la considère trop jeune, d’autant plus qu’elle est encore novice puisque les constitutions demandent un minimum de seize ans pour prononcer les vœux de profession et elle aura ses seize ans que le 3 mai 1648.
Elle est aussi un trésor pour la communauté de Bayeux et on ne voudrait pas la perdre.
Sa sœur ainée, Françoise, se propose également pour la mission du Canada, mais la pression de toute la parenté qui s’oppose à leur projet missionnaire aura raison de l’élan de l’ainée, mais pas Catherine. Elle est déterminée, tout en restant abandonnée à la volonté de Dieu. Son père étant avocat, il refusera fermement que sa fille parte si loin et ira jusqu’à faire une requête en justice au tribunal civil pout empêcher la communauté de laisser partir sa fille. Toutefois, Catherine, de son côté, s’adresse à un autre tribunal, celui de la justice divine. Elle fait le vœu solennel de « vivre et mourir en Canada, si Dieu lui en ouvre la porte ».
Cette offrande toucha le cœur de Dieu qui permit que toutes les barrières qui se dressaient sur sa route tombent d’un coup.
Son père tout d’abord, fut touché par la grâce en lisant la Relation du martyre d’Isaac Jogues. « (…) son cœur se sentit tout changé sur ce généreux sacrifice que voulait faire sa fille d'elle-même; et il conçût une si vive appréhension que Dieu ne lui demandât compte à l'heure de la mort, de l'opposition si opiniâtre qu'il faisait à ses volontés, & aux desseins que le Ciel avait sur sa fille, que touché de cette pensée qui le pressait fortement; il accorda à Dieu ce qu'il avait refusé aux hommes. »[1]
Sa mère, quoiqu’elle fût éloignée de son mari à ce moment, eu en même temps la même pensée d’approuver le départ de leur fille.
Il restait toutefois le consentement des religieuses de Bayeux…
« (…) le Chapitre étant assemblé pour ce sujet, il s'y rencontra tant de nouvelles difficultés, que l'affaire pensa être rompue; Apparemment le Démon faisait ses derniers efforts pour empêcher le voyage de cette fille, qui devait lui être si contraire dans le Canada. Les difficultés qu'on y trouvait, étaient que la fille n'ayant pas encore fait ses Vœux, si elle venait à se dégoûter sur les chemins, on risquait sa vocation; qu'ayant de si beaux talents comme elle avait, elle rendrait un jour de grands services au Monastère de Bayeux, si elle y demeurait, et que c'était elle entre les autres qui se présentaient, qu'on y devait le moins envoyer. »
Mais le ciel n’avait pas dit son dernier mot…La providence agença les événements.
« Sur ces entrefaites Mademoiselle du Longpré (sa mère) arriva au Monastère, laquelle apportait le consentement du père et lui venait dire adieu: de sorte que son arrivée termina les difficultés qui s'opposaient à son voyage. »[2]
Le consentement a été donné, mais à une condition : qu’elle fasse « des vœux simples de Religion avant son départ, sous l’autorité de l’Évêque de Bayeux » et que lorsqu’elle ferait profession, ses 16 ans accomplis, elle le ferait en reconnaissant toujours la Supérieure du Monastère de Bayeux pour « sa vraie et légitime supérieure »[3]. Notons que Catherine resta au Canada jusqu’à sa mort, et donc elle eut toujours sa Supérieure en France à laquelle elle communiquait par lettres.
Elle fît alors ses vœux simples le 15 avril 1648, après quoi le 16 avril elle reçu son obédience (la permission écrite de la Supérieure pour son départ). Puis, le lendemain 17 avril, elle quittait tout ce qu’elle avait au monde de plus cher pour servir Dieu totalement.
L’extrait suivant nous fait comprendre avec quelle profondeur fût vécue la douleur de la séparation :
« Ce ne fut pas sans sentiment que son cœur se sépara de tout ce qu'elle avait au monde de plus cher, elle était aimée de tous ceux qu'elle connaissait et qu'elle allait quitter; et elle savait bien qu'elle allait en un pays Barbare, et parmi des Sauvages infidèles et cruels, où il n'y avait rien d'aimable, sinon à un cœur qui ne veut aimer que Dieu seul. La tendresse de sa mère qui était venue lui dire adieu, et pour qui cette chère fille avait tout l'amour possible, ne servirent qu'à faire paraitre la force de sa vocation pour le Canada, et ce que peut l'amour de Dieu sur un cœur qui déjà est tout à lui. Mais la Communauté des Religieuses de Bayeux où elle avait deux sœurs, sa grand’mère, et une tante sœur de grand’mère, et une cousine germaine Fondatrice de cette Maison, et où toutes les autres Religieuses la portaient dans leur cœur, et pour lesquelles elle avait des tendresses inimaginables; toutes cette chère Communauté lui causa au point de sa séparation une douleur plus sensible qu'elle ne le pouvait exprimer: le seul amour de Dieu qui faisait cette plaie et qui donnait le coup de mort en pouvait être le remède. » [4]
Oui, l’amour de Dieu est à la base de toute cette épopée mystique. Aimer Dieu plus et mieux, et Le faire aimer plus et mieux par le plus grand nombre d’âmes possible.
Avec l’amour comme carburant, elle pouvait désormais aller jusqu’au bout du monde (littéralement). Et de cet amour total découlait d’autres forces vives qui l’aidaient à surmonter tous les obstacles ; un courage sans défaillance, un abandon confiant en la providence, sans oublier une foi, une espérance et une charité élevées à un degré exceptionnel.
C’est dans ce contexte que Dieu donna au Canada ce trésor de grâce, qui allait devenir un pilier spirituel important dans l’édification de ce « nouveau monde ».
Geneviève Bernier
Centre Catherine de Saint-Augustin
[1] Paul RAGUENEAU, Vie de la Mère Catherine de Saint-Augustin, Paris, 1671. p. 36
[2] Idem p. 37
[3] Idem
[4] Idem p.38
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